En juin 2019, Céline Guilmois a défendu une thèse intitulée “Efficacité de l’enseignement socioconstructiviste et de l’enseignement explicite en éducation prioritaire : Quelle alternative pour apprendre les mathématiques ?”. Nous tenons à féliciter Mme Guilmois pour cet excellent travail doctoral qui constitue à notre connaissance la plus grande étude quasi-expérimentale francophone à ce sujet. Les résultats de son étude sont concordants avec les résultats de nombreuses recherches ayant mis en évidence la grande efficacité de l’enseignement explicite sur l’apprentissage des élèves et en particulier des élèves moyens, à risque ou en difficulté (e.g. Bissonnette & al., 2010; Hughes, Morris, Therrien et Benson, 2017; McLeskey & al., 2017).
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Résumé :
Les enquêtes internationales, et plus particulièrement celles de PISA 2012 et 2015, montrent qu’en France, les élèves issus de milieux défavorisés ont beaucoup moins de chances de réussir à l’école que les autres (Dubet, 2014 ; Duru-Bellat, 2009 ; Toulemonde, 2004). Ce constat remet au centre des préoccupations de l’éducation nationale, la pédagogie et les méthodes qui lui sont liées. L’éducation nationale s’est fixé comme objectif de réduire à moins de dix pour cent les écarts de résultats entre les élèves des réseaux de l’éducation prioritaire et ceux des autres élèves, dans les disciplines dites fondamentales, et ceci grâce à une refondation de l’école dont la politique générale place la pédagogie au centre de la réforme.
Les données probantes d’études concernant l’efficacité des méthodes d’enseignement (Bissonnette, Richard, Gauthier, & Bouchard, 2010) montrent que les pédagogies de facture « socioconstructiviste » utilisées majoritairement dans les classes françaises ne semblent pas être celles qui donnent les meilleurs résultats. A contrario, l’enseignement « explicite » utilisé par les enseignants et les écoles efficaces pour aborder des notions nouvelles, complexes et structurées, est particulièrement porteur auprès des élèves en difficulté scolaire (Bissonnette, Richard, & Gauthier, 2006 ; Gauthier, Bissonnette, & Richard, 2013).
Le travail réalisé dans la thèse a pour objectif de comparer l’efficacité de l’enseignement explicite et de l’enseignement socioconstructiviste auprès d’élèves scolarisés en réseau d’éducation prioritaire en général, et en mathématiques plus particulièrement. La présente recherche s’inscrit dans la tradition des recherches dédiées à l’enseignement efficace et vise à montrer qu’un changement de pratiques pédagogiques des enseignants face aux élèves issus des milieux défavorisés a un effet positif sur les performances scolaires de ces derniers. L’enseignement explicite comporte trois étapes principales : le modelage, la pratique guidée, la pratique autonome ; il augmente les possibilités de compréhension des concepts mathématiques.
Cette recherche est réalisée en France, dans l’académie de Martinique, dans des classes de CE1, CM1, CM2, issues des réseaux de l’éducation prioritaire (REP/REP+). Dans cette académie, comme au plan national, les performances des élèves sont faibles dans les domaines scientifiques et en mathématiques. À ce propos, un « plan mathématique » est mis en oeuvre pour concourir à la progression réelle des élèves.
L’hypothèse testée est la suivante : lorsqu’un professeur enseigne une notion mathématique visée, les résultats des élèves sont meilleurs s’il utilise un enseignement explicite plutôt que s’il utilise un enseignement socioconstructiviste ou usuel.
Cette prédiction est testée dans trois études. La première étude cible l’apprentissage de la technique opératoire de la soustraction en CE1 (26 classes) ; la deuxième s’intéresse à l’apprentissage de la technique opératoire de la division en CM1 (21 classes) et la troisième vise l’apprentissage de la notion d’aire en CM2 (25 classes). Les trois études sont conduites selon un même plan quasi expérimental. Les classes sont réparties au hasard en trois groupes : un groupe enseignement explicite, un groupe enseignement socioconstructiviste, un groupe enseignement usuel. Les études se déroulent en plusieurs phases sur une durée de trois à cinq semaines selon la notion étudiée. Pour chacun des groupes, après une phase d’instruction des enseignants à la méthode d’enseignement, s’ensuivent une phase diagnostique (prétest), une phase d’apprentissage de la notion mathématique (test), une phase d’évaluation des acquis (post-test). Premièrement, les résultats mettent en évidence que, quelles que soient les classes et les tâches réalisées, les élèves progressent entre les deux temps d’évaluation. Deuxièmement, et d’importance majeure, les données montrent que les élèves des classes ayant reçu un enseignement explicite obtiennent des performances supérieures aux élèves des classes ayant reçu un enseignement socioconstructiviste ou usuel. Enfin, les résultats indiquent que l’enseignement explicite est globalement plus efficace pour les élèves moyens à risque ou en difficulté.
L’ensemble des résultats de ces études apporte des éléments empiriques supplémentaires au courant de recherche soutenant l’efficacité de l’enseignement explicite, ce qui renforce les prédictions qui en découlent, donc sa validité. D’un point de vue pratique, elle alimente l’idée que le changement de pratiques des enseignants a des effets bénéfiques pour les élèves des réseaux renforcés de l’éducation prioritaire. La méthode quasi expérimentale utilisée permet de préconiser la généralisabilité des résultats à des publics similaires à celui de l’étude. L’enseignement explicite est une méthode efficace pour enseigner la technique opératoire de la soustraction et de la division ainsi que la notion d’aire auprès d’un public issu de l’éducation prioritaire. Elle présente donc un intérêt pour la communauté professionnelle des professeurs des écoles travaillant dans les REP+.
Mots-clés : enseignement explicite – enseignement socioconstructiviste – éducation prioritaire – méthode d’enseignement.